|
|
|
|
|
|
|
[ARE]MILLA
Installation INSITU pour le SENTIER DES ARTS URBAINS 2022 / Saint-Sorlin-de-Conac
Mise en scène sensorielle du texte Armilla de Italo Calivino, dans son ouvrage Les Villes Invisbles, paru en 1972.
Qu’Armilla soit dans cet
état
parce qu’elle est inachevée ou parce
qu’elle a
été démolie, qu’il
y’ait
là-derrière un enchantement ou un simple caprice,
moi je
n’en sais rien. Le fait est qu’elle n’a
ni murs, ni
toits, ni sols : elle n’a rien qui la fasse ressembler
à
une ville, sauf les tuyaux de canalisations, qui montent à
la
verticale là où il devrait y avoir les maisons et
se
ramifient là où devraient y avoir les
étages :
une forêt de tuyaux qui se terminent en robinets, douches,
siphons, trop-pleins. Contre le ciel brille de son éclat
blanc
un lavabo ou une baignoire ou d’autres pièces en
faïence,
comme des fruits tardifs restés accrochés aux
arbres.
Tout se passe comme si les plombiers avaient achevé leur
travail
et s’en étaient allés avant
l’arrivée
des maçons ; à moins que leurs installations
indestructibles, aient résisté à une
catastrophe,
tremblement de terre ou corrosion des termites.
Abandonnée avant
ou après avoir été habitée,
on ne saurait
dire qu’Armilla a été
désertée.
À toute heure, si on lève les yeux parmi les
tuyauteries,
il n’est pas rare d’apercevoir une femme, jeune ou
plusieurs, sveltes et pas très grandes, qui se
recroquevillent
dans les baignoires, qui se courbent sous les douches suspendues dans
le vide, qui font des ablutions, ou qui se sèchent, ou qui
se
parfument, ou qui peignent leurs longues chevelures au miroir. Dans le
soleil brillent des fils d’eau
éparpillés par les
douches, les jets des robinets, les jets d’eau, les
éclaboussures, la mousse des éponges.
L’explication
à laquelle je suis arrivée est la suivante : des
cours
d’eau canalisés dans les tuyauteries
d’Armilla sont
restées maitresses nymphes et naïades.
Habituées
à remonter les veines souterraines, il leur a
été
facile de s’avancer dans le nouveau règne
aquatique, de
sourdre des sources démultipliées, de trouver de
nouveaux
miroirs d’eau, de nouveaux jeux, de nouvelles
manières de
jouir de l’eau. Il se peut que leur invasion ait
chassé
les hommes, ou il se peut qu’Armilla ait
été
construite par les hommes comme un don votif pour s’attirer
les
grâces des nymphes offensées par leur mainmise sur
l’eau. Quoi qu’il en soit, elles ont
l’air contentes
maintenant, ces petites dames : le matin, on les entend chanter.
Les Villes Invisibles
Italo CALVINO
écoutez l'audio en
version originale (italien)
Se Armilla sia
così perché incompiuta o perché demolita,
se ci
sia dietro un incantesimo o solo un capriccio, io lo ignoro. Fatto sta
che non ha muri, né soffiti, né pavimenti: non ha nulla che la faccia
sembrare una città, eccetto le tubature dell’acqua, che
salgono
verticali dove dovrebbero esserci le case e si diramano dove dovrebbero
esserci i piani: una foresta di tubi che finiscono in rubinetti, docce,
sifoni, troppopieni. Contro il cielo biancheggia qualche lavabo o vasca
da bagno o altra maiolica, come frutti tardivi rimasti appesi ai rami.
Si direbbe che gli idraulici abbiano compiuto il loro lavoro e se ne
siano andati prima dell’arrivo dei muratori; oppure che i
loro
impianti, indistruttibili, abbiano resistito a una catastrofe,
terremoto o corrosione di termiti.
Abbandonata
prima o dopo essere
stata abitata, Armilla non può dirsi deserta. A qualsiasi ora, alzando
gli occhi tra le tubature, non è raro scorgere una o molte giovani
donne, snelle, non alte di statura, che si crogiolano nelle vasche da
bagno, che si inarcano sotto le docce sospese sul vuoto, che fanno
abluzioni, o che s’asciugano, o che si profumano, o che si
pettinano i lunghi capelli allo specchio. Nel sole brillano i fili
d’acqua sventagliati dalle docce, i getti dei rubinetti, gli
zampilli, gli schizzi, la schiuma delle spugne.
La spigazione
cui sono
arrivato è questa: dei corsi d’acqua incanalati nelle
tubature
d’Armilla sono rimaste padrone ninfe e naiadi. Abituate a
risalire le vene sotterranee, è stato loro facile inoltrarsi nel nuovo
regno acquatico, sgorgare da fonti moltiplicate, trovare nuovi specchi,
nuovi giochi, nuovi modi di godere dell’acqua. Può darsi che
la
loro invasione abbia scacciato gli uomini, o può darsi che Armilla sia
stata costruita dagli uomini come un dono votivo per ingraziarsi le
ninfe offese per la manomissione delle acque. Comunque, adesso sembrano
contente, queste donnine: al mattino si sentono cantare.
Le città invisibili
Italo CALVINO
|
|
|
|
|
|
|
|